Élisabeth Moreno n’a jamais aimé les trajectoires toutes tracées ni les destins assignés. Avant les tribunes officielles, les cabinets ministériels et les grandes salles où l’on décide, il y eut une enfance marquée par le déplacement et l’adaptation. Elle a appris très tôt à observer le monde depuis ses marges : observer sans bruit, comprendre sans se plaindre et avancer sans demander la permission.
Née au Cap-Vert dans une famille modeste, arrivée en France encore enfant, elle découvre très tôt ce que signifie changer de pays, de codes et de repères. Cette conscience aiguë que tout n’est pas donné à parts égales forge son caractère. Certaines portes s’ouvrent naturellement, d’autres exigent d’être poussées avec insistance. Elle apprend à travailler deux fois plus, à douter parfois, mais à ne jamais renoncer.
À l’école comme dans sa vie professionnelle, elle avance avec la conviction qu’il faut sans cesse prouver sa valeur, sans oublier d’où elle vient. Son parcours n’est pas linéaire : essais, détours, remises en question. Elle connaît les fragilités, les silences pesants, les moments où les compétences sont là mais la reconnaissance tarde. Être femme. Être noire. Être ambitieuse. Trois réalités longtemps perçues comme incompatibles dans certains cercles de pouvoir.
Du secteur privé à l’expérience internationale
Son ascension n’est ni rapide ni rectiligne. Après des études en gestion et commerce, elle débute par un poste commercial, exigeant et formateur. Elle y apprend la rigueur, l’écoute, la discipline, mais aussi les plafonds invisibles qui freinent certaines trajectoires.
Peu à peu, elle se construit une carrière solide dans le secteur privé, apprend les règles du jeu économique, les codes du leadership et les mécanismes de décision. Ces expériences la conduisent à des postes de direction à l’échelle internationale, notamment en Afrique. Elle y observe le potentiel immense du continent, mais aussi les freins structurels qui empêchent tant de talents féminins d’émerger pleinement.
En juillet 2020, elle est nommée ministre déléguée chargée de l’Égalité femmes-hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances au sein du gouvernement français. Deux années intenses, exposées, exigeantes. Elle y découvre la puissance mais aussi les limites de l’action politique. Elle mesure combien une décision peut changer des vies, mais aussi combien certaines voix restent absentes des lieux où tout se décide.
« Mon passage au gouvernement m’a profondément marquée. J’y ai vu à quel point une décision politique peut accélérer ou freiner l’égalité », confie-t-elle.
Elle comprend que l’égalité ne se décrète pas uniquement depuis le sommet : elle se construit dans l’articulation entre le terrain et le pouvoir.
ADWIN : connecter, autonomiser et rendre visibles
De cette tension féconde naît l’idée d’ADWIN. Lancée en juin 2025 à Abidjan, sous le Haut Patronage de la Première Dame Dominique Ouattara, ADWIN Foundation (African and African Descendant Women Impact Network) est une réponse à des années d’observations et d’espoirs accumulés.
Avec ses co-fondatrices George-Axelle Broussillon Matschinga (experte internationale en diversité depuis les États-Unis) et Prescillia Avenel-Delpha (experte en marketing digital et EdTech depuis l’Afrique du Sud), Élisabeth Moreno bâtit un pont entre les femmes africaines et afro-descendantes du continent et celles de la diaspora.
« Nous visons à connecter et autonomiser un million de femmes africaines et afro-descendantes d’ici 2030 », affirme-t-elle.
Pour elle, le véritable plafond de verre n’est pas seulement dans les conseils d’administration ou les sphères politiques : il est aussi dans les récits dominants, l’accès au financement et la légitimité accordée ou refusée aux femmes africaines et afro-descendantes.
ADWIN se structure autour de cinq piliers :
WinSkills : transformer les compétences en leviers d’avenir.
WinConfidence : créer des liens de mentorat intergénérationnels.
WinWell : placer le bien-être au cœur de la réussite.
WinCapital : lever le verrou du financement.
WinHeritage : réconcilier mémoire, identité et leadership.
Une portée mondiale et locale
ADWIN se déploie à l’échelle mondiale, avec une fondation basée aux États-Unis et des chapitres sur plusieurs continents. Le lancement à Abidjan, le 5 juin 2025, réunit plus de 1 500 femmes venues d’Afrique, d’Europe, des Amériques et des Caraïbes.
Aujourd’hui, Élisabeth Moreno ne parle plus seulement de parcours personnel. Elle parle d’héritage, de transmission et de responsabilité collective. ADWIN est le prolongement logique d’un chemin fait de luttes silencieuses, de réussites construites, d’échecs digérés et de la certitude que l’Afrique et sa diaspora n’ont pas besoin d’être sauvées : elles ont besoin d’être reconnues, connectées et outillées
Nuance sur le rapport au pouvoir
Si certaines femmes, une fois en position de force, cherchent à surpasser les hommes, Élisabeth Moreno insiste sur une autre logique : il ne s’agit pas de domination mais de rééquilibrage. L’objectif n’est pas de reproduire les rapports de pouvoir existants, mais de les transformer. Pour elle, l’égalité véritable ne consiste pas à prendre la place des hommes, mais à inventer un espace où chacun, femme ou homme, peut contribuer sans plafond ni invisibilité.
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